De Stéphane Buffetaut, élu local de Vendée et ancien député européen, pour le Salon beige
Les visiteurs du musée du Louvre connaissent l’œuvre de Jérôme Bosch intitulée « La nef des fous », inspirée par le livre du Strasbourgeois Sébastien Brant publié à la fin du XVe siècle. Y figurent de grotesques personnages embarqués dans une improbable nef qui, indubitablement, va vers son naufrage.
Telle est l’image que nous offre un Etat jacobin égaré dans un délire réglementaire dont le dernier formulaire de laisser-passer imaginé par le ministère de l’Intérieur est la triste illustration. Retiré de la circulation en catastrophe tant il était incompréhensible, ce document de deux pages et de quinze rubriques a provoqué l’hilarité mais également l’exaspération des internautes. C’est cette dernière attitude qui est la juste réaction.
En effet la stupidité administrative, accompagnée des omniprésentes sanctions, ne prête pas à rire car elle révèle les tares d’un système devenu incontrôlable et dangereux. Oscillant entre la crainte maladive de voir la responsabilité de l’administration mise en cause et la volonté folle de vouloir régler dans le détail la vie des citoyens, la machine vire à une forme d’absurdité totalitaire. Comme si le roi Ubu, Kafka et George Orwell s’étaient ligués pour enfanter une sorte de Frankenstein étatique qui a échappé à toute raison.
Si cette situation est effrayante c’est qu’elle est inhumaine en cette volonté prétendue d’éliminer tout risque, tout aléa, et de régler la vie quotidienne en le moindre de ses aspects, puisque l’administration prétend nous indiquer ce qui est essentiel et ce qui ne l’est pas, ce que l’on peut acquérir et ce que l’on ne peut pas, entrant ainsi dans les détails les plus banals de l’existence.
Or le propre de la vie humaine est l’inattendu et le risque. Certes cette incertitude n’est pas nécessairement agréable ni confortable mais ce qui fait la grandeur et la dignité de la personne humaine, c’est de pouvoir et de savoir y faire face. Au demeurant, les grandes figures de l’histoire universelle sont justement celles qui, à un moment donné, ont su et osé prendre des risques, que ce soit dans le domaine politique, scientifique, artistique, militaire, économique ou simplement personnel. Prétendre dicter leur conduite en toute chose et dans les moindres détails à nos concitoyens, au nom de leur sécurité, c’est les infantiliser. Avons-nous besoin de l’administration pour nous dire que nous pouvons nous promener sur dix kilomètres mais pas onze ? Et faut-il que tout ce fatras réglementaire soit accompagné de lourdes pénalités dont on nous dit avec des airs martiaux qu’elles seront appliquées avec rigueur ?
Si la République française fait ses délices de l’absurdité bureaucratique, l’Union européenne semble vouloir lui voler la vedette en la matière. Au départ eurocrates et chefs d’Etat et de gouvernement développent un raisonnement qui semble logique : négocions les vaccins en bloc au nom des vingt-sept Etats membres afin d’avoir plus de poids en face des laboratoires pharmaceutiques. Mandat est ainsi donné à la Commission européenne de conduire les négociations commerciales. Et là, tout déraille. En premier lieu, les discussions sont menées dans la plus grande opacité, ce qui surprend et irrite. En deuxième lieu, elles semblent assez mal conduites puisque le résultat tangible est que l’Union européenne en son ensemble est mal approvisionnée et que les vaccinations se font avec lenteur et de façon assez chaotique, comme l’épisode Astra Zeneca le démontre. De l’autre côté du « chanel », la campagne de vaccination bat son plein, ce qui semble donner raison aux partisans du Brexit. En troisième lieu, devant les lenteurs de l’administration européenne certains gouvernements s’exaspèrent. C’est le cas en Autriche ou en Hongrie (aujourd’hui rejointes par l’Allemagne) où, en fin de compte, on a recours au vaccins russe, à la fureur de la Commission européenne qui tempête. Monsieur Breton, Commissaire européen, sans doute fier de la gestion des vaccins par son administration, affirme hautement que l’on n’a pas besoin du Spoutnik V, et M. Le Drian en rajoute, considérant que ce vaccin, reconnu efficace à 90 % par l’OMS, est un élément de diplomatie agressive et de propagande de la Russie ! Il est malheureusement évident que la France serait bien en peine de faire d’un vaccin français un atout diplomatique, mais ceux qui attendent en vain de se faire vacciner apprécieront qu’une vision idéologique déteigne sur la politique vaccinale. Que l’on n’apprécie pas Vladimir Poutine et que l’on considère que ses méthodes de gouvernement ne correspondent pas aux critères de la démocratie libérale occidentale est une chose. Que l’on s’abstienne de recourir à un vaccin efficace, alors que l’on est en situation de pénurie est en est une autre, qui fait bon marché de la santé des Européens.
Tout cet embrouillamini bureaucratique révèle en fait la faillite du politique qui a abandonné le pouvoir entre les mains de bureaucraties ineptes qui semblent considérer que le fait d’accabler les citoyens de normes, d’interdits et de sanctions est agir, alors que c’est, au contraire, paralyser l’action. La France a payé le prix fort d’une politique hospitalière bureaucratique qui s’est révélée désastreuse en période de crise, tout comme l’a été l’exclusion de départ de la médecine de ville de la lutte contre la pandémie. Lorsque l’on sait que l’hôpital public emploie un administratif pour un médecin, alors que le ratio est d’un administratif pour trois médecins dans l’hospitalisation privée, on mesure à quel point la pertinence des choix en matière d’allocation des ressources est une question essentielle.
L’opacité de la gestion européenne, ses ratés et ses choix idéologiques ont une fois encore abîmé l’image du projet européen dans l’opinion publique, ce que l’on ne peut que déplorer et ce que ne saurait redresser les discours « magiques » sur l’Europe.
En cas de réelle alternance en 2022, il est clair qu’un nouveau gouvernement aura devant lui une tâche titanesque qui consistera en tout premier lieu à abattre le pouvoir de l’Etat profond afin que prévalent les volontés démocratiques sur les blocages administratifs. L’enjeu est que la sphère politique, au sens noble du terme, retrouve sa liberté d’action. C’est vrai à l’égard de l’administration française comme de l’administration européenne. Pour cela, il faut de la volonté et de la persévérance tant il est vrai que l’intelligence seule ne suffit pas au gouvernement. Elle n’est rien sans le caractère.
La nef des fous, Hieronymus Bosch, Public domain, via Wikimedia Commons.