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Jean Taillardat

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La faim

de Knut Hamsun

Exceptionnel, incroyable ! Je lis La Faim et me dis que Hamsun finira sa vie dans un hôpital psychiatrique !
Sous forme de journal, Knut Hamsun nous narre au présent une période de sa vie où la faim l’emporte sur tout le reste, où la faim est la conséquence d’un génie pas encore reconnu et d’une fierté qui confine à la paranoïa :

Comment se fait-il que la fulgurance de ses écrits ne lui procurent que les quelques couronnes qui lui permettent de ne pas mourir de faim, littéralement ? Dans un flot de pensées et de récits de vie, c’est une plongée dans l’esprit d’un quasi dément que nous entrons. La dèche, la déche, violente, traversée par des fureurs, des crises de désespoir, des extases mystiques, avec, en permanence, les déchirures et les brûlures d’un estomac vide, d’un cerveau enflammé. « Grand dieu, dans quel triste état j’étais ! J’étais si profondément dégoûté et fatigué de toute ma misérable vie qu’à mon sens cela ne valait plus la peine de lutter pour la conserver. L’adversité avait pris le dessus, elle avait été trop rude : j’étais extraordinairement délabré, je n’étais plus que l’ombre de ce que j’avais été jadis. »
Le livre date de 1890, Hamsun a trente ans, la période racontée est antérieure de dix ans, nous sommes en 1880. Cette écriture me rappelle deux autres ouvrages, écrits bien antérieurement : Voyage au bout de la nuit, de Céline et La route de Jack Kerouac, deux autres voyages. Le beatnik Kerouac écrit : « Les seules personnes qui existent pour moi sont les déments, ceux qui ont la démence de vivre, la démence de discourir, la démence d’être sauvés, qui veulent jouir de tout, dans un seul instant, ceux qui ne savent pas bâiller ni sortir un lieu commun mais qui brûlent, qui brûlent… » traduction Nastasia-B, Babelio. 
Celui de Céline date de 1932, Céline a 36 ans et a déjà un lourd passé, qu’il vomit en phrases déchaînées ; « c’est un faiseur de phrases, à la fois mélange de prose violente et de lyrisme morbide, à la fois désabusé et lucide, à la fois horrible et magnifique » Anastasia-B, Babélio. Dans la présentation qu’il fait de son livre à son futur éditeur, Céline le décrit effectivement avec une grande lucidité : « Au point de vue émotif, ce récit est assez voisin de ce qu’on obtient, ou devrait obtenir avec de la musique. Cela se tient sans cesse aux confins des émotions et des mots, des représentations pieuses, sauf aux moments d’accents, eux impitoyablement précis. »
Knut écrit en norvégien mais je trouve que la traduction française coule naturellement comme un torrent, comme celle de La route. Trois œuvres, une même langue reflétant la plénitude des émotions : la colère et le dégoût chez Céline, la fuite éperdue dans le mouvement sans fin chez Kerouac, « les borborygmes d’un estomac qui souffre » chez Hamsun. Deux cent quatre-vingt pages d’une faim inexpugnable seulement interrompue par des rémissions ; 5 à 10 couronnes par ci par là, jusqu’à l’embarquement impromptu sur un cargo qui met fin à cette traversée des enfers.
Je souscris pleinement aux formules d’André Gide : « Devant La faim, on est en droit de penser que, jusqu’à présent presque rien n’est dit et que l’homme reste à découvrir. »
Un autre misérable m’avait fait forte impression : Léon Bloy ! Le Désespéré, autobiographie d’un assoiffé de pureté, de sainteté, « Pèlerin de l’absolu » qui vitupère l’argent corrupteur et le progrès et qui le paie de se débattre toute sa vie contre la misère, mais quelle langue !

1 Belluaires et porchers, Léon Bloy

 

Le Tollé

de Henry James

Je bats ma coulpe et avoue, toute honte bue, avoir découvert Henry James par son dernier roman achevé : Le Tollé. Triple surprise pour moi, le titre, le contenu et le style. Et je déconseille formellement de lire ce roman sans en connaître le contexte ; c’est pourtant ce que j’ai fait et la raison pour laquelle je n’y ai pas compris grand-chose, un grand dommage quand on aborde un auteur aussi célèbre.

Le Tollé de Henri James

Je commence donc par le contexte : le roman est publié en 1911 et il se trouve qu’au début du XXe siècle, les milliardaires américains pillent littéralement, à grand renfort de dollars, les chefs d’œuvre artistiques européens. En 1907, la perte de la très précieuse collection Rodolphe Kann, remarquable pour ses œuvres anglaises et ses grands Rembrandt, provoqua un « tollé » public en Angleterre, un outcry, note Adeline R. Tintner. Le richissime américain J. Pierpont Morgan achète systématiquement des trésors artistiques d’Angleterre, le plus souvent à des familles nobles désargentées mais hélas aussi à des propriétaires incapables de résister au montant des chèques mis dans la balance. Le personnage de Breckenridge Bender du Tolléen est une copie assez fidèle et Lord Theign est le propriétaire ; les membres de sa famille ainsi que des proches intriguent autour de ses tableaux…
Le titre, Le Tollé, The outcry en anglais : j’avais le livre dans ma bibliothèque depuis des années, 2001 exactement et, mettant mon goût pour la lecture au service des œuvres classiques de préférence aux romans primés par notre société de grande consommation, romans oubliés dès que publiés, j’ai décidé qu’il était temps de sortir celui-ci de mes rayons. Enfin ! Probablement le titre ne m’avait pas attiré, ne m’avait pas parlé. Sans doute même n’avais-je pas compris ce qu’il pouvait représenter, la notion de « tollé général » étant affecté couramment à une manifestation sociale ou autre chahut estudiantin.
Le contenu : sept personnages en tout et pour tout, qui intriguent autour de deux tableaux, presque un huis-clos, qui ont tous de fortes personnalités et des intérêts croisés. M. Bender ne sort son chéquier que sur la fin mais il l’a sur lui en permanence et n’achète que s’il tire gloire du montant du chèque. L’un des tableaux est un portrait de famille et l’autre une œuvre plus mineure… sauf si ce n’est pas un Moretto mais un Mantovano ! Lord John courtise Lady Grace, la cadette de Lord Theign, Kitty, l’ainée, a de grosses dettes de jeu, M. Hugh Crimble est un spécialiste qui penche du côté de Theign, d’autant qu’une amitié se noue avec Lady Grace. Les affaires avancent sournoisement et semblent aboutir à un accord à plusieurs zéro mais le « Moretto/Mantovano » exposé fait fureur et la perspective qu’il quitte l’Angleterre produit un tollé… Les rapports entre ces personnages sont à fleurets mouchetés, la courtoisie étant de mise : quelles finesses ! Quelles manœuvres ! Quels subtils jeux de manipulation ! 
Le style : le récit a d’abord donné lieu à une pièce de théâtre et sa transcription conserve la forme du dialogue ; l’histoire se découvre exclusivement à travers des dialogues tout juste « mis en scène » par une description sommaire des positions, mouvements, attitudes des personnages. J’ai été surpris et pour tout dire décontenancé par ce procédé.

Pour bien faire, maintenant que je peux en savourer l’art et l’éclat, en mesurant la portée symbolique et viscérale d’un peuple dont on « dévalise » les richesses culturelles, je mets la relecture de ce chef d’œuvre à mon programme… un jour prochain.

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La Montagne magique

de Thomas Mann

Ouvre maîtresse de Thomas Mann, Le livre de poche, 1931. Un immense classique, réservé aux grands lecteurs, ceux que ne rebute pas les huit cents et quelque pages d’un récit limité à l’horizon d’un sanatorium durant sept ans. « Chef-d’œuvre de T. M., l’un des plus célèbres écrivains allemands du XXe siècle, La Montagne magique est un roman-miroir où l’on peut déchiffrer tous les grands thèmes de notre époque. Et c’est en même temps une admirable histoire aux personnages inoubliables que la lumière de la haute montagne éclaire jusqu’au fond d’eux-mêmes ».

Réflexions sur deux romans récents, L’année de Jeanne, de Franck Ferrand et L’Enfer de Gaspard Koenig

Je n’aborderai pas dans mes réflexions la qualité littéraire du premier de ces romans, qui peut se discuter, mais le fond. Franck Ferrand veut une France forte et souveraine, servant le peuple français, et sa Jeanne-Antide Aubier a relevé le défi d’y arriver comme avant elle notre héroïne nationale, Jeanne d’Arc. La critique de nos gouvernants est sévère mais ce n’est pas l’essentiel. La « Gamine de Strasbourg » engage sa vie au nom de la Vérité : la France est en déconfiture parce qu’elle ne croit plus en elle-même et que les gouvernants ont sacrifié leur honneur et leur dignité sur l’autel de leurs ambitions et de leurs prébendes. Elle se relèvera par le cœur et le courage !

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Le point de départ est le projet de faire de Strasbourg et de l’Alsace une ville et un territoire européens, donc de les couper de la France. Nous savons que ce projet existe, soutenu par une Union Européenne non pas européiste mais déjà mondialiste. Bruxelles et la Commission Européenne s’arrogent le pouvoir de décider pour le peuple, pour les Alsaciens et pour les Français. Et le gouvernement français ne peut ni ne veut rien y opposer.
Cela me conduit à m’interroger sur la réalité des pouvoirs des États et ce sera l’objet d’un autre article sur la nature même du pouvoir.
Danièle Mitterrand cite cette réflexion que lui a livrée son mari, contraint d’abandonner le programme proclamé dans le Programme Commun de Gouvernement mis au point entre la Parti Socialiste et les Communistes : « Nous sommes soumis à des forces qui nous dépassent, à l’UE telle qu’elle a été mise en place par les traités malgré la volonté des peuples, aux puissances financières ». Il a de même dit, en sourdine, que les USA sont nos ennemis. Nous savons que M. Macron prend ses ordres à Bruxelles, qu’il a été promu par l’oligarchie mondiale pour appliquer le GOPE1 . Nous savons que nos dirigeants font semblant de décider de ce qui est décidé ailleurs, que les discours de souveraineté ne sont que des récitations ânonnées par des pantins.
Franck Ferrand concentre son récit autour de cette notion de souveraineté, ce qui justifie pleinement l’appel à Jeanne d’Arc, à l’exclusion des autres défis que le pays doit relever : le climat, la désindustrialisation, les fractures sociales, l’appauvrissement des « prolétaires », l’immigration incontrôlée, les tensions géopolitiques, etc. 

Gaspard Koenig, philosophe dont j’ai lu des ouvrages précédents2, utilise cette fois-ci le conte philosophique pour transmettre le questionnement auquel il soumet l’idéologie du tout libéral. Le héros tient son journal… ouvert juste après sa mort, pour l’instruction éventuelle des vivants. C’était un être quelconque, normal, juste réputé pour son enseignement des théories libérales. Aussi est-il surpris d’être orienté vers l’Enfer, d’abord, puis rassuré de ne connaître ni le bûcher, ni les tortures, mais simplement conduit dans le couloir d’un aéroport où lui est remise une carte de crédit qui lui offre un crédit illimité. Les galeries marchandes offrent tous les produits et services dont il pouvait rêver quand il était vivant, et dont il va profiter sans plus de retenue, lui qui avait été fidèle à son épouse et peu dispendieux. De plus 20 000 aéroports l’attendent, avec des départs toutes les heures ! Vers les destinations les plus improbables, de quoi satisfaire tous les goûts. Oui mais… la réalité est que vous pouvez passer d’aéroport en aéroport, profiter pleinement de la société de consommation, de satisfaire tous les fantasmes refoulés jusque-là, sans pouvoir en sortir… Après quelques années, quelques siècles, quelques millénaires – le temps n’a aucune réalité dans l’éternité – notre homme gavé se lasse et tente de sortir de cette prison, car ses conditions de vie, ou plutôt de mort, ressemblent étrangement à celles pour lesquelles il s’enthousiasmait ici-bas. Comme l’écrit Koenig : « La situation m’apparut parfaitement claire. J’avais gaspillé les quelques décennies qu’il m’avait été accordé de vivre. J’avais éteint la vie autour de moi, dans mon ménage comme chez mes étudiants. J’avais fait régner un ordre maniaque, calculant mes dépenses, ma carrière, mes amitiés en éradiquant systématiquement toute trace de spontanéité humaine. J’avais exporté cet utilitarisme froid chez mes étudiants, dans mes travaux de recherche et in fine dans la tête de ceux qui décident de la vie des autres. J’aimais les ruisseaux qui coulent dans les prairies et pourtant, je ne sais par quel délire, quelle ferveur intellectuelle, j’avais semé sur mon passage les centres commerciaux… » – j’ajoute « et favorisé la vie dans les avions des mondialistes et des progressistes ».
Dystopie ? même pas puisque ces conditions de vie sont ce vers quoi nous entraîne irrémédiablement le progrès.

Au-delà de ces seules réflexions consécutives à mes lectures m’en viennent d’autres, qui me paraissent plus essentielles encore et dont je ferai état dans un autre article : je me targue de penser mais qu’est-ce que penser ? Comment et par quoi est orientée ma pensée ? Qui a prise sur elle ? Est-elle libre alors que je revendique ma liberté de pensée ?…

1 GOPE : Grandes Orientations des Politiques Européennes, établies en vertu de l’article 121 du TFUE – Traité de Fonctionnement de l’Union Européenne – et fixant la feuille de route des pays de l’UE.

2 Les aventuriers de la liberté, Plon-Le Point 2016 ; Voyage d’un philosophe pays des libertés, L’Observatoire – Le Point, 2018

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Éloge des voyages insensés

de Vassili Golovanov

De Vassili Golovanov, chez Verdier Slava, 2008. Le coup de cœur d’un libraire qui me l’a transmis. L’île polaire de Kolgouev n’a plus de secret pour moi, j’y ai vécu et me suis pénétré de ses paysages, de ses légendes, de l’histoire de « l’antique horde nomade du Grand Nord ». J’ai connu les désastres causés par la « civilisation industrielle » et le communisme, qui a transformé le Grand Nord en poubelle. Vassili a entrepris ce voyage parce que, dit-il, « nous n’avons plus d’ailleurs. C’est cet ailleurs, sans lequel aucune création n’est possible, que nous cherchons ».

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